Alain Goraguer, l’amour de la musique et l’humour de la vie

14 février 2023

Compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, Alain Goraguer a illuminé la chanson et le cinéma français de son talent pendant six décennies. 

©Marc Chesneau
 

En breton, son patronyme signifie "l'archer". Des flèches de notes, des piques d’esprit, Alain Goraguer n'a jamais cessé d'en décocher tout au long de son existence de passionné prolifique. Cet homme discret a été omniprésent dans les studios et sur les scènes aux côtés des plus grandes et des plus grands : Mercouri, Mouskouri, Gréco, Bardot, Anne Sylvestre, Vian, Ferrat, Reggiani, Adamo, Moustaki, j’en passe et non des moindres !

Né à Rosny-Sous-Bois en 1931, de père breton et de mère corse, Alain Yves Reginald Goraguer apprend le violon dès l’âge de onze ans. Plus tard, féru et fou de jazz, pianiste à Nice encouragé par Jack Diéval, c'est à Saint-Germain-des-Prés qu'il rencontre Boris Vian. Ce dernier assurera même la direction artistique du premier disque d’Alain, en 1956, Go...Go...Goraguer. Ensemble ils écriront des chefs-d’œuvre comme Je bois, La Java des bombes atomiques ou Fais-moi mal Johnny. De Vian à Gainsbourg, il n'y aura qu'un pas, consacré, entre autres, à un certain Boby Lapointe ("un extraterrestre", se souvenait Alain), pour une collaboration de dix années avec des classiques comme Aragon et Castille ou La Maman des poissons.

Mais c'est bien avec Serge Gainsbourg que l'osmose sera totale, "un vrai coup de foudre". Entre deux orchestrations pour France Gall (Poupée de cire, poupée de son, Les sucettes), les cinq premiers albums de l'auteur du Poinçonneur des Lilas, de Chant à la une ! (1956) à Gainsbourg Percussions (1964), seront marqués de la patte Goraguer. Une griffe originale, personnelle et multicolore que l’on retrouvera ensuite dans une centaine de succès, du Métèque de Georges Moustaki à Inch’ Allah d’Adamo, en passant par Virages d’Yves Duteil.

Sa carrière d’orchestrateur est éblouissante et unique, avec, en point d’orgue, l'intégrale des enregistrements de Jean Ferrat, les plus belles chansons d'Isabelle Aubret, une grande partie de l’œuvre de Reggiani et de celle de Nana Mouskouri, mais n’oublions pas qu’il a été aussi un magnifique compositeur : L’eau à la bouche, pour Gainsbourg, Jazz à gogo pour France Gall, 3 très jolis titres pour Joe Dassin, La chanson de Paul et Le temps qui reste pour Reggiani, sans oublier  le délicieux et « culte » « Tou tou you tou » pour l’émission Gym Tonic de Véronique et Davina. Comme si cela ne suffisait pas, Alain et son talent fertile ont aussi enrichi la musique de film : plus de 80 longs métrages, parmi lesquels J'irai cracher sur vos tombes (1959), L’eau à la bouche (1960), L'Affaire Dominici (1973) ou encore La Planète sauvage (1973) dont les merveilles d’orchestration n’ont cessé d’inspirer les beatmakers américains les plus aventureux depuis la fin des années 1990, Madlib en premier lieu. Le début du 21ème siècle verra ce créateur infatigable travailler, entre autres, avec Bruno Maman ou Abd al Malik.

Vice-président, administrateur et trésorier de la Sacem jusqu’en 2011, il avait participé en 2018 à la série d’interviews vidéo Les coulisses de la création de la Sacem où il avait raconté avec pudeur quelques épisodes de ses plus grandes collaborations.

Alain Goraguer avait été admis à la Sacem en qualité de compositeur en 1953 et promu sociétaire définitif en 1964.

« L’œil qui frise, le mot rare, mais décapant, Alain Goraguer a mis son immense talent au service des plus grands artistes français. Henri Dutilleux m’avait confié un soir qu’il l’admirait beaucoup. Il n’était pas le seul. Nous l’aimions, notre Gogo, « prince-sans-rire » et grand maestro de la chanson. Il va nous manquer ! Il est des silences qui font mal, même après les plus belles mélodies… ». Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.

Publié le 14 février 2023