Arno, rocker belge haut en couleurs

Il était une personnalité, une gueule, une voix rocailleuse, entre cabaret rock et chanson réaliste. De celles qu’on n’oublie pas, de la trempe des Alain Bashung, Tom Waits, Nick Cave ou Jacques Brel, son illustre compatriote belge qu’il a plusieurs fois repris. Arno s’est éteint d’un cancer à l’âge de 72 ans.

©Renaud Corlouer/Dalle

De son vrai nom Arnold Charles Ernest Hintjens, Arno voit le jour en mai 1949 à Ostende. Dès son enfance, sa mère, fan de Juliette Gréco, l’emmène le weekend au music-hall. Vers l’âge de 8 ans, il découvre la chanson française, le jazz, et le rock’n’roll à travers Elvis Presley et Bob Dylan. Il se lance dans la musique à 16 ans et intègre ses premiers groupes. Il profite du vent de liberté des années 1960 pour voyager, découvrant l’Asie ainsi que l’Europe, d’Amsterdam aux îles grecques où il chante au hasard des rencontres.

Il se produit pour la première fois sur scène lors d’un festival à Ostende durant l’été 1969. Il rejoint alors le groupe Freckleface avec Paul Decouter à la guitare. Arno y chante et joue de l’harmonica de 1972 à 1975, le temps d’un album. Les deux forment ensuite Tjens Couter, un duo plus rock aux influences rhythm'n'blues. En 1977, ils affinent leur esthétique musicale au sein de TC Band, nom transformé en TC Matic en 1980, qui sort son premier album l’année suivante. Cette formation devient emblématique du renouveau de la scène belge, synthèse de la vivacité des courants new-wave de l’époque. Le refrain « Putain, putain, c’est vachement bien, on est quand même tous des Européens » du hit Putain putain revendique une identité culturelle forte tout en s’inspirant des courants new-wave anglais, américains et européens. Le groupe sillonne alors le continent, jouant en Scandinavie, Grande-Bretagne, France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne… En 1985, TC Matic assure la première partie de la tournée européenne des Écossais de Simple Minds.

Malgré ses succès, le groupe se sépare en 1986. Arno se lance dans une carrière solo très prolifique, dans une veine tirant vers une chanson teintée de blues. Il se distingue par une interprétation toujours profondément habitée, un grand sens de l’humour et une personnalité pleine d’humilité. Il publie vite son premier album, enregistré avec des membres de TC Matic, composé de titres en anglais à l’exception de Qu'est-ce que c'est ?. Il en est de même pour Charlatan (1988) avec sa reprise de Jacques Brel, Le Bon Dieu. Deux ans plus tard, le suivant, Ratata, nait d’une collaboration avec Jean-Marie Aerts. Arno fait ensuite escale à Nashville pour enregistrer Idiots savants (1993) sur lequel figure sa fameuse reprise d’Adamo, Les Filles du Bord de Mer.

En 1995, À la française, son premier album intégralement en français, offre treize titres co-signés avec Jean-Marie Aerts et Ad Cominotto, musicalement sous influences blues, jazz et tango, avec des reprises de Brel (Le Bon Dieu), ainsi que de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon (Comme à Ostende). Suivent ensuite À Poil Commercial (1999), le très acoustique Arno Charles Ernest (2002), qui contient Elisa en duo avec Jane Birkin et la reprise du Mother's Little Helper des Rolling Stones, et French Bazaar (2004), deuxième œuvre intégralement en français, qui lui vaut la Victoire de la Musique 2005 du Meilleur album pop-rock de l'année.

En 2007, Jus de Box voit Arno faire la part belle au multilinguisme (français, flamand, anglais et ostendais) le temps de quatorze chansons rock, blues, métal, disco et rap. L’année suivante, il livre vingt reprises sur Covers Cocktail, parmi lesquelles des chansons d’ABBA, Nina Simone, Queen, Serge Gainsbourg, les Beatles, Nino Ferrer, ou Claude Nougaro.

En 2010, il chante en flamand, en français, en anglais et en arabe sur l’album Brussld avant un retour à ses amours rock sur Future Vintage (2012) et Human Incognito (2015), tous deux avec le producteur anglais John Parish au générique, comme pour préparer la sortie du spectaculaire Santeboutique (2019), dernier album sur lequel figure Ostende Bonsoir, hommage à la ville qui l'a vu naître. En 2021, il revisite son répertoire en version acoustique sur Vivre, avec pour seul accompagnement le piano de Sofiane Pamart.

Durant sa carrière, Arno a collaboré avec de nombreux noms du rock et de la chanson, participé à de nombreux projets, comme Charles et les Lulus, qui reprenait des standards du blues, Arno & The Subrovnicks, ou encore Charles & The White Trash Blues. Éclectique, il a aussi réalisé quelques musiques de films, dont la BO de Merci la vie de Bertrand Blier. Il s’est essayé comme acteur, jouant dans J'ai toujours rêvé d'être un gangster de Samuel Benchetrit aux côtés d'Alain Bashung.

Avec un lien fort tissé avec la France, Arno s’est produit dans nombre de salles pour des concerts émotionnellement riches. Jusqu’à celui du Trianon à Paris en février 2020, avant lequel il révèle qu’il est atteint d’un cancer du pancréas. Il se voit contraint de repousser les dates à venir et subit une intervention chirurgicale. Mais la maladie finira par avoir le dernier mot le 23 avril 2022.

La Sacem salue la mémoire de cet artiste qui tout au long de sa carrière aura honoré la chanson francophone de ses créations et de son talent, tout en chantant de nombreux duos avec des créateurs membres de la Sacem.

Publié le 25 avril 2022