Sportive, top model, chanteuse soul… Nadia Mladjao, alias Imany, n’a cessé de se réinventer. L’artiste de 39 ans, qui attend son deuxième enfant, s’offre une pause salvatrice pour mieux se réinspirer.

La première fois, elle rayonnait de joie et son timbre rauque, d’une profondeur inouïe, nous avait alpagués. C’était en 2012, pour la sortie de The Shape of a Broken Heart : un premier album soul nimbé de folk, qui exorcisait ses amours brisées et le destin tragique de l’Afrique. Quatre ans plus tard, on retrouvait Imany, tout aussi radieuse, sur la scène de l’Olympia. Une consécration, pour l’ex-top model qui se destinait jadis à une carrière sportive. Mais cet été, boum patatras ! Éreintée par une tournée planétaire, la chanteuse annonce que ce sera la dernière. « C’est comme si j’avais couru dans un tunnel durant quatre ans, confesse celle qui vient pourtant de recevoir le Grand Prix du répertoire Sacem à
l’export. Après la BO de Sous les jupes des filles, d’Audrey Dana, en 2014, j’ai enchaîné sur mon deuxième album, la tournée, sans compter toutes les promos… Entre-temps, j’ai accouché. » La maternité, justement… Nadia Mladjao, alias Imany, est à nouveau enceinte. Mais plus question de reproduire les erreurs du passé : « Sur scène, je véhiculais des valeurs de partage, d’amour et d’essentiel de vie, mais je ne voyais mon fils que deux fois par mois. J’étais devenue un robot ».
Une telle franchise est rare dans le monde de la musique… Féministe dans l’âme, Imany enfonce le clou : « En tant que femme, on n’a pas le droit de se plaindre. Il faut sourire, être rassurante, au risque de paraître désagréable, voire froide. C’est lourd à porter ». Aujourd’hui, elle se dit sereine. « Je ne souhaite pas repartir dans l’écriture d’un nouvel album. Mais je n’ai pas non plus peur d’être oubliée, ni de gagner moins d’argent… Je viens d’un milieu où il n’y en avait pas. »
Le goût d’ailleurs
Née à Martigues en 1979, Nadia Mladjao a grandi à Istres, avec ses six frères et soeurs. « Mes parents se sont rencontrés aux Comores, à l’époque des colonies. Quand mon père est entré dans l’armée de l’air, il a été muté sur une base en métropole. Ma mère était la seule survivante de sa famille. Tous mes oncles et mes tantes sont morts à la naissance et elle voulait recréer sa propre tribu en France, se souvient-elle. Comme nous formions une famille nombreuse et que les billets d’avion étaient extrêmement chers, nous n’allions aux Comores que tous les cinq ans. » Une double culture qui lui insuffle le goût d’ailleurs.
À la maison, l’ambiance se veut aimante et l’imaginaire de la petite Nadia divague en musique. « Papa écoutait des vinyles de Stevie Wonder et Michael Jackson. Maman était
amoureuse de variété française et de Joe Dassin », poursuit Imany. Dès l’enfance, elle sent grandir en elle le désir coupable de chanter. Mais à l’école, son timbre grave lui vaut les
ricanements des garçons. « Ils considéraient ma voix comme une anomalie. Je fredonnais sur le chemin de la boulangerie car c’était le seul endroit où personne ne pouvait m’entendre. »
Au collège, l’adolescente se distingue au saut en hauteur. Repérée par l’entraîneur de l’équipe de France, elle débute une formation à l’Institut national du sport (Insep). « Ça n’a jamais été un rêve d’enfant, mais j’ai participé à des compétitions à travers la France. C’était mon premier accès au monde extérieur », se souvient l’ex-sportive. Le destin en décidera autrement. L’année de ses 17 ans, une chasseuse de têtes repère sa beauté sculpturale et lui propose de devenir mannequin. Un nouvel univers s’ouvre à Nadia, qui s’installe à New York en 1999. Elle y restera sept ans.
Décennie musicale
De fashion week en fashion week, la top model s’aguerrit sur les podiums. Mais déchante aussi : « Tous les jours, quelqu’un nous pesait, nous mesurait et décrétait que l’on défilerait ou pas… C’était très dur ». Pour s’évader, cette fan absolue de Nina Simone et Tracy Chapman écrit des chansons. « À New York, on me disait que ma voix était sexy. Elle
ne sonnait plus comme une anomalie, mais comme une particularité.» Puis en 2007, lasse d’être considérée comme « un cintre » et consciente que le mannequinat « véhicule des messages normatifs qui ne servent pas l’image de la femme », Nadia débarque à Paris.
Après avoir écumé les bars de la capitale sous le nom d’Imany, l’apprentie musicienne tape dans l’oreille de Malick Ndiaye, producteur d’Ayo, lors d’un concert au Sentier des Halles. Une décennie plus tard, l’heure du bilan a sonné : « Je ferai toujours de la musique. Il n’y a rien de plus gratifiant que de monter sur scène. On reçoit instantanément l’amour du public. Lui tourner le dos serait ingrat. Je dois trouver l’équilibre entre ma vie de femme, de mère et d’artiste. De militante, aussi ». Elle est devenue l’ambassadrice acharnée d’ENDOmind, une association qui lutte pour la reconnaissance de l’endométriose et de la douleur de la femme. Car Imany a eu mille vies, et on lui fait confiance pour se réinventer à l’infini.
ÉLÉONORE COLIN
Publié le 13 mars 2019