S’il est un mot que prononce volontiers le compositeur italo-suisse Oscar Bianchi, et que clame avec plus de force encore sa musique, c’est celui de « clarté ». Quelque coloration que prennent ses œuvres, elles partagent des qualités saillantes : transparence, netteté des contours, activité intense, énergie et virtuosité.

Si Oscar Bianchi revendique la nécessité de bâtir des langages pour franchir les barrières musicales, « la transparence reste, dit-il, une condition fondamentale pour faire en sorte qu’un langage, même sophistiqué, puisse se décliner dans l’écoute ».
C’est pourquoi le brio de sa musique a pour corollaire, voire comme condition, la virtuosité. Non pas une virtuosité qui viserait à la fois la mise à l’épreuve et la glorification de l’interprète, mais un élément « de l’ordre de la célébration ». Cette exubérance, qui d’une certaine façon fait style, n’est pourtant pas une finalité en soi. Elle est conçue pour dispenser une énergie, une générosité et une euphorie propres à une célébration dont, autant que le contenu spécifique de l’œuvre, la liberté de l’acte de création pourrait bien être l’objet.
Inspirations profondes
Connexe à l’idée de célébration, la dimension rituelle de la musique d’Oscar Bianchi est parfois délibérée et directement perceptible. La cantate Matra (2007) est typique des œuvres auxquelles le compositeur a voulu donner une épaisseur spirituelle et puise notamment à deux sources auxquelles il s’est référé de façon récurrente : les spiritualités indiennes, d’une part, et plus spécifiquement ici le shivaïsme tantrique, la pensée poético-philosophique de Lucrèce, d’autre part, telle que transmise par l’ouvrage De rerum natura.
Les œuvres d’Oscar Bianchi des années 2007-2010 (Anahata Concerto, Ajna Prelude) accompagnent la volonté de « décliner une forme de sagesse existentielle sur le plan musical », hors de toute tentation de religiosité et de toute forme d’exotisme. Chez Lucrèce, c’est l’atomisme hérité d’Épicure qui avait retenu l’attention du compositeur dès son jeune âge. On se gardera cependant d’y lire la métaphore d’une pensée musicale fondée sur la seule combinatoire. Même dans la musique de chambre, l’arrière-plan rituel induit une dimension de profondeur. C’est, dit-il, « l’un des aspects de la musique contemporaine qui m’attirent le plus : on est là pour échanger des choses importantes, profondes, significatives, et c’est dans cette direction que l’œuvre d’art peut aussi décoller. » Peut-être est-ce cela également que célèbre l’œuvre.
Parcours et rencontres
Oscar Bianchi a été formé au conservatoire de Milan, à l’Ircam et à la Columbia University. Il sait ce qu’il doit à l’univers académique, mais se méfie du savoir en tant que somme de connaissances. « Le savoir en soi, comme capacité de répondre aux questions, est un exercice typiquement occidental qui peut parfois se révéler un peu stérile, considère le compositeur. Mais si on met en jeu ce savoir pour ce qu’on estime être le bien de la société, un champ expressif s’ouvre alors, et avec lui un éventail de fonctions sociales. » Oscar Bianchi croit beaucoup au rapport de maître à disciple et au phénomène de passation, par « transpiration », d’une vision ou d’une inspiration. À ce titre, l’apport d’un Adriano Guarnieri à Milan ou d’un Tristan Murail à New York, aussi important soit-il, ne se traduit pas par une influence musicale directe.
Formé à la direction de chœur tout en découvrant la matière chorale par la pratique de l’écriture polyphonique, et donc sensible à la beauté du contrepoint vocal dans ce que celui-ci peut avoir d’austère, Oscar Bianchi ne refuse pas pour autant une certaine pyrotechnie vocale, celle notamment qui illumine Ante litteram (2013), rejoignant là encore la visée d’une musique jubilatoire. Ayant grandi à Milan, il a également été exposé à l’art lyrique, mais loin d’adhérer en bloc aux codes de la tradition belcantiste, il privilégie, comme en témoigne son opéra Thanks to My Eyes (2011), une forme de lyrisme apte à mettre en valeur l’essence même de la voix, et reste très attaché à une symbiose mélodico-phonétique qui rende justice au texte autant qu’à la voix.
Ambition artistique
Si Oscar Bianchi se décrit volontiers comme un « intermédiaire » au service de la musique à travers qui se réalisent des œuvres, ce n’est pas par mimétisme avec l’image du démiurge romantique, réceptacle malgré lui d’une inspiration supérieure. C’est plutôt qu’il estime la conjonction de ses connaissances, de son imagination et de ses capacités de synthèse apte à catalyser un processus de création non circonscrit à lui-même. Mise en perspective avec l’idée d’une célébration laïque, cette représentation du créateur épouse une certaine forme d’humanisme. Un humanisme misant sur le pouvoir de l’expression artistique pour se ressaisir du langage et, en questionnant la rhétorique, renouer avec une vérité non manipulée. « En tant que citoyens européens, estime-t-il, nous avons besoin d’être mis face à la réalité telle qu’elle est, et non dans une dynamique de manipulation médiatique. » L’impératif de clarté et de transparence qui traverse toute la production du compositeur est celui d’une musique qui tend, non pour elle-même mais comme moyen de découverte et de partage, vers la transcendance.
Pierre Rigaudière
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Publié le 08 juillet 2019