Existe-t-il une création musicale responsable et durable ? Quel est le coût environnemental de la musique ? Instruments éco-responsables, festivals engagés, artistes concernés, impacts du streaming sur la planète… Cette nouvelle série interroge les relations qu’entretiennent musique et environnement.
L’abandon programmé du support physique pour la musique, comme celui du papier pour la presse écrite, s’est assorti d’un discours vertueux : on allait en finir avec le plastique polluant et l’abattage des arbres. Depuis, de nombreuses études ont détricoté cette idéologie du progrès bienfaisant, et démontré que la dématérialisation avait un prix environnemental encore plus élevé. Car si les échanges numériques se déploient dans l’invisible, ils exigent une logistique sophistiquée.

Responsables de plus de 10% de la consommation mondiale d’électricité (en 2018), les ordinateurs, les datas centers et les réseaux. « Si l’on considère la totalité de son cycle de vie, le simple envoi d’un mail d’1 mégaoctet (1 Mo) équivaut à l’utilisation d’une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes, soit l’équivalent de 20 grammes de CO2 émis, et la tendance est franchement à la hausse, à raison de 5 à 7 % d’augmentation tous les ans », selon Françoise Berthoud, chercheuse au CNRS.
Dans le dernier trimestre 2018, les clients de Spotify (100 millions d’abonnés, 207 millions d’utilisateurs mensuels) ont écouté 15 milliards d'heures de musique, soit environ 25 heures par personne et par mois. Responsables physiques de l’acheminement de ces données et du cloud, de la musique, du cinéma ou des bitcoins, des serveurs, des câblages, une connectique, des switches, routeurs, pare-feux... Très gourmands, les centres de stockage de données (datas centers) : grosses machines informatiques qui, en surchauffent permanente, nécessitent un refroidissement constant. Les data centers consomment 2% de l’électricité mondiale et produisent autant de CO2 que l’industrie aéronautique.
La gabegie est d’autant plus importante que « les data centers et les routeurs continuent d’être utilisés à 100 % de leur capacité jour et nuit, constate une étude [BE1] du CNRS. En effet, les administrateurs de ces équipements vivent dans la hantise que l’utilisateur puisse souffrir du moindre temps de latence – un décalage de quelques secondes – ou pire, d’une “gigue ” : un débit haché qui rendrait son expérience désagréable ». De même, pour répondre à l’immédiateté des demandes, on a laissé proliférer les « obésiciels », des logiciels obèses, telles certaines applications pour smartphone, développées sans aucune précaution énergétique et qui restent ouvertes en permanence.
Comment consommer de la musique et de la vidéo sans participer à la dégradation de la planète ? Une équipe de chercheurs de l’université de Glasgow, mené par Kyle Devine (Université d’Oslo) a traduit en gaz à effet de serre la production de plastique (pour la fabrication des CD) et la production d’électricité (pour le stockage des fichiers audio). Citée par le site d’informations musicales Pitchfork, cette étude relate qu’aux Etats-Unis, 157 millions de kilogrammes de gaz à effet de serre (GHG) ont été générés en 2000 à l’époque des CD, contre 200 et 350 millions de kilogrammes engendrés en 2016 à cause du stockage des fichiers numériques. Le streaming ne serait pas à proprement parler un geste écolo-responsable.
Même constat pour le site spécialisé Enviro2B : le bilan carbone de la consommation musicale n’a cessé de s’alourdir. Au départ, le vinyle (+ 1 427% depuis 2007) fut vertueux, les disques 78 Tours étant « fabriqués à base de gomme laque, une résine naturelle sécrétée par la punaise femelle Kerria lacca, extraite des arbres. La gomme laque n’étant pas dérivée de combustibles fossiles, son empreinte carbone était inférieure à celle des vinyles modernes, faits de PVC », le plastique si cher aux années 1950. Les CD sont quant à eux constitués de polycarbonate et d’aluminium, entrainant un impact environnemental légèrement inférieur au PVC, mais impossible à recycler, car composite, contrairement aux boîtiers en polycarbonate.

Une fois achetés, vinyles et CD engendrent un coût minimum : celle de l’énergie utilisée par la platine ou le tourne disque, alors qu’« écouter de la musique en streaming à l’aide d’un système de sonorisation hi-fi, consomme en moyenne 107 Kwh d’électricité par an. » selon Enviro2B. Si l’on consomme peu, la diffusion en streaming est une option recevable, contrairement aux écoutes répétées. « Le fait de diffuser un album sur Internet plus de 27 fois consomme probablement plus d’énergie que nécessaire pour produire et fabriquer un CD », conclue Enviro2B, qui conseille de télécharger des fichiers sur un smartphone ou un ordinateur pour les écouter ensuite, « 10 ou 1 000 fois, cela aura peu de conséquences », alors que charger 1 000 fois un fichier en streaming mène tout droit au gaspillage.
Le streaming vidéo, en pleine expansion, devrait capter 80% du trafic web mondial dès 2020. Or « une vidéo comme Gangnam Style, visionnée 2,7 milliards de fois sur la planète, a consommé l'équivalent de la production annuelle d'une petite centrale », expliquait en 2017 Gary Cook, analyste de Greenpeace. Dans le collimateur de l’ONG, le géant Netflix, qui s'appuie sur l'infrastructure d'Amazon Web Services (AWS) et continue « d'alimenter notre streaming avec des énergies fossiles et doit d'urgence suivre le chemin d'autres grandes entreprises du numérique » dont Facebook ou Microsoft qui utilisent près de 40% d’énergies renouvelables pour nourrir leur data centers.
Autre point sensible, la récupération. Avec 50 millions de tonnes de déchets électroniques (téléphones portables, ordinateurs, électroménager…) accumulé chaque année pour une valeur estimée à 55 milliards d’euros et dont seulement environ 20% sont recyclés, la planète numérique s’avère ultra-polluante.
Véronique Mortaigne
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Publié le 04 juillet 2019